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Nullité des décisions collectives : montée en puissance du critère de l’irrégularité de nature à influer sur le résultat du processus de décision

Il résulte de la combinaison des articles 1844, alinéa 1, et 1844-10, alinéa 3, du code civil que la participation d’une personne n’ayant pas la qualité d’associé aux décisions collectives d’une société à responsabilité limitée constitue une cause de nullité des assemblées générales au cours desquelles ces décisions ont été prises, dès lors que l’irrégularité est de nature à influer sur le résultat du processus de décision.

1. Décidément, la chambre commerciale de la Cour de cassation est déterminée à se saisir de la question des nullités des décisions sociales et, par son pouvoir créateur, à en aménager les causes et les conditions de mise en œuvre. L’arrêt du 11 octobre 2023 est, à ce titre, doublement instructif (v. égal., B. Saintourens, Lexbase Affaires du 19 oct. 2023).

D’abord, il est une illustration du phénomène tant redouté en droit des sociétés des nullités « en cascade », dans l’hypothèse d’une cession de parts sociales annulée.

Ensuite, il est l’occasion pour la chambre commerciale de nuancer la jurisprudence de la troisième chambre civile qui avait, en 2015, jugé que doivent être annulées les décisions collectives auxquelles ont participé des non associés (Civ. 3e, 8 juill. 2015, n° 13-27.248 P, D. 2015. 1537 ; Rev. sociétés 2016. 175, note L. Godon ; RTD com. 2015. 533, obs. A. Constantin ; ibid. 2016. 145, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; BJS 2015. 585, note J.-P. Garçon ; Gaz. Pal. 29 sept. 2015, n° 272, obs. B. Dondero ; Dr. sociétés 2015, n° 11, comm. 189, note R. Mortier). Nuancer seulement, parce que la chambre commerciale conditionne le prononcé de la nullité au critère qu’elle vient de dégager dans l’arrêt Larzul 2 du 15 mars dernier, à savoir à la preuve de ce que la participation irrégulière doit avoir été « de nature à influer sur le résultat du processus de décision » (Com. 15 mars 2023, Larzul 2, n° 21-18.324 FS-B, Dalloz actualité, 28 mars 2023, obs. J. Delvallée ; D. 2023. 671 , note A. Couret ; ibid. 1922, obs. E. Lamazerolles et A. Rabreau ; Rev. sociétés 2023. 377, note L. Godon ; RTD com. 2023. 381, obs. A. Lecourt ; ibid. 391, obs. J. Moury ; JCP E 2023. 1093, note B. Dondero ; JCP 2023. 658, note A. Reygrobellet ; Dr. sociétés 2023. Comm. n° 72, note J.-F. Hamelin ; BJS mai 2023, p. 13, note H. Le Nabasque ; RDC 2023, n° 3, p. 48, obs. M. Caffin-Moi).

2. Les faits peuvent être synthétisés de la façon suivante. En 1993, une SARL, dont le capital est divisé en 500 parts sociales, est constituée à égalité entre une mère et son fils.

En 1998, deux personnes, les époux M., font l’acquisition des 250 parts de la mère ; tandis que le même jour, le fils, cède 200 de ses parts sociales à deux autres cessionnaires.

Le 4 septembre 2010, la mère décède. Sa fille, soutenant qu’elle avait appris, à l’ouverture de la succession, que les parts de sa mère avaient fait l’objet d’une cession au profit des époux M., les assigne en annulation de la vente. À l’appui de sa demande, elle prétend que la signature apposée sur différents actes ayant permis la cession des parts n’est pas celle de sa mère et qu’ils constituent donc des faux.

Le fils, toujours associé minoritaire à hauteur de 50 parts, intervient volontairement à l’instance introduite par sa sœur, ès qualité d’héritier et, par acte séparé, assigne la SARL en annulation de toutes les assemblées tenues entre les mois de mars 1998 et juin 2012.

3. En appel, la nullité des délibérations des assemblées tenues à partir de mars 2010 est prononcée.

4. Devant la Cour de cassation, la SARL et les cessionnaires avancent trois arguments pour juguler le risque de nullité en cascade des décisions collectives généré par la participation aux assemblées des époux M., cependant qu’ils auraient rétroactivement perdu leur qualité d’associé.

5. Le premier argument consistait à opposer aux héritiers la prescription de l’action en annulation de la vente des parts sociales de leur mère. En substance, était en jeu le point de départ de la prescription, donc la détermination du moment de la découverte par la mère de la cause de nullité de la cession de ses parts.

Et l’enjeu était de taille. Il faut rappeler, en effet, qu’en matière de nullités subséquentes, c’est la nullité d’un acte premier qui, par sa rétroactivité, prive les actes subséquemment adoptés d’un élément nécessaire à leur validité (sur cette question, J. Moury, Les nullités en cascade en droit des sociétés, Rev. sociétés 2013. 599 ; P. Le Cannu, La canalisation des nullités subséquentes en droit des sociétés, in Mélanges en l’honneur de Pierre Bézard, 2002, Montchrestien, p. 113 ; E. Guégan, Les nullités des décisions sociales, Dalloz, 2020, nos 354 s.). Concrètement, l’annulation de l’acte premier, la cession des parts de la mère en l’occurrence, constituait donc un préalable indispensable à la poursuite de la nullité des actes subséquents, c’est-à-dire les décisions collectives auxquelles avaient par voie de conséquence irrégulièrement participé les époux M., cessionnaires (sur cette exigence, v. Com. 6 sept. 2016, n° 14-25.581 F-D, Rev. sociétés 2017. 89, note J.-J. Ansault , en ce sens que la nullité d’une assemblée pour irrégularité de sa convocation tirée de ce que son auteur aurait lui-même été irrégulièrement désigné ne peut être prononcée sans que, au préalable, la nullité de cette désignation soit prononcée).

On saisit dès lors l’importance pour les demandeurs au pourvoi de parvenir à démontrer que la mère avait bien eu, dès la conclusion de la vente de ses parts, connaissance du vice lui permettant d’agir.

Pour le reste, les circonstances ayant conduit l’arrêt d’appel, approuvé par la Cour de cassation, à reporter le point de départ de la prescription de l’action en annulation au jour du décès de la mère, nous échappent un peu. On se contentera de relever que la mère a pu légitimement ignorer la prétendue cession de ses parts, pour deux séries de raisons : d’un côté, elle était très éloignée de la gestion des affaires de la SARL, assurée exclusivement par son fils ; de l’autre, alors qu’aucun élément factuel postérieur à la cession ne lui permettait d’avoir connaissance de cette opération, la signature apposée sur la cession et les documents postérieurs à cette cession (agrément et modification des statuts) n’était pas la sienne et constituait, manifestement, un faux.

6. Faute pour l’action en annulation d’être prescrite, restait alors à savoir sous quelles conditions pouvaient être critiquées les délibérations auxquelles avaient irrégulièrement participé les cessionnaires (sur la nécessité de traquer chacun des actes subséquents, v. Com. 27 janv. 2009, n° 07-20.402 F-D, RTD com. 2009. 391, obs. P. Le Cannu et B. Dondero ; sur le point de départ de la prescription de l’action en annulation de ces actes, reporté au jour du prononcé de la nullité de l’acte premier, v. Civ. 2e, 26 sept. 2013, n° 12-23.129, Gaz. Pal. 19 nov. 2013, n° 323, obs. B. Dondero).

C’est sur ce terrain que l’arrêt énonce deux solutions importantes : en premier lieu, la participation aux délibérations d’un non associé est une cause de nullité des décisions sociales distincte de celle résultant d’une convocation irrégulière de l’assemblée ; en second lieu, bien que de droit, la nullité ne peut être prononcée qu’à la condition que la participation irrégulière ait été de nature à influer sur le résultat du processus de décision.

Le vice de participation d’un non associé aux délibérations

7. Pour échapper à la rigueur des nullités en cascade, les demandeurs au pourvoi soutenaient que les assemblées générales tenues en présence des cessionnaires « ont la nature d’"assemblées irrégulièrement convoquées" au sens de l’article L. 223-27 du code de commerce, de sorte qu’il appartient au juge d’apprécier au cas par cas s’il y a lieu de prononcer...

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